Vincent Dubois SAGE (UMR 7363)
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"Augustin Girard, un intermédiaire entre recherche et administration"

Augustin Girard a d’abord représenté pour moi un témoin et un acteur intégré à mon premier objet d’étude : la genèse des politiques culturelles. M’intéressant dans cette perspective au rôle des échanges entre sciences sociales et planification culturelle au début des années 1960, ma curiosité avait été attirée par ceux qui les avaient promus. Au premier rang d’entre eux figurait bien sûr Augustin Girard. On connaît le rôle décisif qui a été le sien de ce point de vue, avec l’organisation du colloque de Bourges en 1965, le lancement du service des études et de la recherche au ministère et la très riche histoire qui s’en est suivie. Le regard rétrospectif incline parfois à cette forme de complaisance qui conduit à considérer comme des pionniers, héros visionnaires d’une mission qui n’avait pas encore son institution, ceux qui comme lui ont été actifs à un moment clef. Je ne crois pas céder à cette tentation, même si je dois confesser une certaine fascination à l’égard de ceux qui ont su mettre à profit un contexte dans lequel, rétrospectivement au moins, tout paraissait possible. Surtout, au cours de l’entretien qu’il nous a accordé à ce propos (notre première rencontre, en mars 1993, avec Didier Georgakakis), Augustin Girard a évoqué son rôle avec une grande simplicité, sans le minorer mais d’une manière très différente de ces acteurs-témoins qui revendiquent après coup la paternité de tant de choses qui se sont réalisées quand l’histoire a simplement fait qu’ils se trouvaient là au moment où elles se réalisaient.

Je garde un souvenir très net de cette première rencontre, prélude à de nombreux échanges dans les années qui ont suivi, progressivement espacés du fait de l’éloignement géographique et du lancement d’autres chantiers de recherche. Je conserve aussi le souvenir plein de reconnaissance de la collaboration qu’Augustin Girard, avec Geneviève Gentil toujours à ses côtés, m’avaient proposé par la suite. Le comité d’histoire du ministère de la culture en était alors à ses débuts. Je venais à peine de soutenir ma thèse et ils me firent la confiance de me demander la conception du cadre d’un travail collectif sur l’histoire des politiques culturelles locales, donnant lieu à la publication d’un opuscule méthodologique et programmatique suivi d’un séminaire et d’un ouvrage collectif, avant que Philippe Poirrier ne prenne le relais.

Si je me permets d’évoquer cette expérience personnelle c’est qu’elle illustre me semble-t-il les dispositions qui caractérisent plus généralement l’attitude d’Augustin Girard à l’égard des chercheurs. On pourrait la résumer à ses signes les plus immédiatement perceptibles : le ton cordial voire enjoué, l’œil curieux et le sourire aux lèvres (même quand nous n’étions pas d’accord, ce qui est aussi arrivé), l’enthousiasme indéfectible et l’intérêt jamais démenti, y compris lorsqu’il entendait raconter par d’autres une histoire qu’il connaissait mieux qu’eux. Au-delà il y a je crois plus profondément une conception à la fois modeste et exigeante du rôle d’intermédiaire entre recherche et administration. Je n’en ai pris pleinement conscience que plus tard, dans la confrontation avec d’autres intermédiaires, dans le domaine culturel ou ailleurs, dont certains jouaient la confusion des genres. Augustin Girard s’est à mon sens efforcé d’incarner à l’inverse une posture claire, employant dans ses interventions et ses écrits son propre vocabulaire informé et précis et non un langage d’emprunt mâtiné de pseudo-concepts, ne cherchant pas à utiliser sa position, son expérience ou ses compétences pour prétendre faire de la recherche à la place des chercheurs, s’approprier leur travail ou leur imposer une orientation.

Sans ignorer la hiérarchie des statuts et des positions, il a su diversifier les collaborations en les ouvrant (je peux en témoigner) à ceux qui n’avaient que leur capacité de travail à proposer. Sans être davantage dupe des contraintes propres à une position qui, pour être intermédiaire, n’en est pas moins située au sein de l’administration, il a su trouver dans les limites de cet exercice difficile les compromis nécessaires permettant de limiter l’emprise d’une commande technocratique d’études dont l’utilité pour l’action n’est jamais acquise, mais dont l’inutilité scientifique est en revanche bien avérée. Réciproquement il fallait aussi convaincre les chercheurs de ne pas se complaire dans les délices de l’académisme – ce qui n’est pas forcément une tâche plus facile. Sans glorifier la personne d’Augustin Girard (ce qu’il n’aurait sans doute guère apprécié) il y a là un exemple à méditer, en réfléchissant à l’alchimie complexe des caractéristiques individuelles et des conditions sociales, institutionnelles et intellectuelles qui l’ont rendu possible. En disant cela j’espère ne pas tomber dans le sociologisme qu’Augustin Girard n’aurait pas été le dernier à me reprocher (c’était là l’un de nos débats récurrents) ; j’exprime au contraire, sans oublier la personne qu’il fût, ce qui de mon point de vue fonde le plus sincère des hommages.

Vincent Dubois, le 6 janvier 2011

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